Au lendemain de la Révolution, le château de la Muette situé dans le hameau de Passy est démembré et vendu par lots. En 1860, avec le rattachement de Passy à Paris, une partie de son parc devient la propriété de la Ville et le baron Haussmann ordonne sa transformation en un jardin. Dans la seconde moitié du XIX siècle, les terrains qui jouxtent ce parc de 6 hectares sont recherchés par une clientèle aisée désireuse d’y construire des habitations de prestige. François Christophe Edmond Kellermann, duc de Valmy, en fait partie. Le 4 mai 1863, il achète une parcelle sise entre le 20, avenue Raphaël et le 17, boulevard Suchet. Le contrat de vente stipule l’obligation d’y édifier dans les deux ans un immeuble d’habitation bourgeois d’au moins 600 mètres carrés. Plus ambitieux et en partie spéculatif, ce projet de construction comprend trois hôtels. Deux d’entre eux se trouvent au fond du terrain, côté boulevard Suchet. Le premier est vendu le 13 juillet 1866 au peintre Marie Paul Alfred Parent de Curzon. Le second est acquis le 27 novembre 1866 par un certain M. Lalande. François Christophe Edmond Kellermann se réserve une propriété de 2 020 mètres carrés au 20, avenue Raphaël. De celle-ci, on sait qu’elle est constituée d’un bâtiment principal élevé sur sous-sol, avec un rez-de-chaussée et un étage, encadré de deux pavillons attenants édifiés chacun sur sous-sol, comportant seulement un rez-de-chaussée. La propriété est agrémentée d’un jardin anglais au fond duquel, dans l’angle à droite, se dresse un bâtiment en équerre avec pan coupé sur terre-plein comprenant un rez-de-chaussée et un étage, ainsi qu’une petite cour intérieure vitrée. Après la mort du duc en 1868, sa veuve et sa fille cèdent ce bien le 7 juin 1882 à Jules Marmottan pour la somme de 260 000 francs.
Originaire d’une famille du Quesnoy, Jules Marmottan naît le 26 décembre 1829. Après des études de droit et un bref passage chez un agent de change parisien, Jules prend en 1870 la direction des mines de Bruay qui deviennent sous son impulsion l’une des premières compagnies minières du Pas-de-Calais. Administrateur de plusieurs compagnies françaises d’énergie et de transport, Jules Marmottan est aussi un amateur d’art. Il s’attache ainsi le conseil d’Antoine Brasseur, un marchand d’origine lilloise. Par son intermédiaire, l’industriel réunit une quarantaine de peintures de primitifs italiens, flamands et allemands, au premier rang desquelles une rare Descente de Croix de Hans Muelich. Les statuettes de Malines en bois polychromes et les tapisseries des vies de sainte Suzanne et d’Alexandre illustrent également cette préférence pour l’art de la haute époque et de la Renaissance. L’ensemble de ces œuvres est pourtant destiné à orner la résidence parisienne de Jules Marmottan. Décédé le 10 mars 1883 à cinquante-trois ans, Jules Marmottan transmet à son fils unique, Paul, une fortune considérable et lui réserve, par un legs particulier, l’hôtel de l’avenue Raphaël et ses collections.
Né à Paris le 26 août 1856, Paul Marmottan suit des études de droit à l’université d’Aix. Licencié en 1880, attaché au cabinet du préfet du Vaucluse et avocat stagiaire à la cour d’appel de Paris, il est nommé conseiller de la préfecture de l’Eure en 1882. À la mort de son père en 1883, Paul demande sa mise en disponibilité et renonce à sa carrière de haut fonctionnaire. Installé à Paris, il se marie en 1885 avec Gabrielle Rheims. Son divorce en 1894 puis, en 1904, la mort de Marie Martin qu’il envisageait d’épouser en secondes noces, privent Paul Marmottan de descendance ; il mène dès lors une existence solitaire. À l’abri du besoin, il se consacre à l’étude de l’histoire et de l’art entre 1789 et 1830. Auteur prolifique et respecté, il s’impose comme un spécialiste du Consulat et de l’Empire dont il contribue à réhabiliter l’art encore mal connu. Les recherches de l’historien nourrissent les acquisitions de l’amateur qui entreprend, à la suite de son père, de constituer sa propre collection. Paul Marmottan réunit ses premiers achats dans le pavillon qu’il réaménage dans le plus pur goût Empire. Il y présente les effigies en marbre de Carrare de certains membres de la famille de l’Empereur. Le mobilier est sélectionné avec rigueur et provient, entre autres, du palais des Tuileries, une résidence de Bonaparte à Paris, ou du château de Portici à Naples. Auteur d’un livre intitulé L’École française de peinture (1789-1830), paru en 1886 et dédié aux paysagistes de l’époque postrévolutionnaire, Paul Marmottan réunit un ensemble rare et représentatif de ces « petits maîtres » au métier encore classique. Sa collection est accrochée au début du siècle dans le pavillon. Les paysages de Jean Victor Bertin, Étienne Joseph Bouhot, Louis Gauffier, Adolphe Eugène Gabriel Roehn, Jacques François Joseph Swebach, dit Swebach-Desfontaines, sont quelques-unes des toiles qu’il réunit autour de ses pièces phares : six représentations des demeures impériales peintes vers 1810 par Jean Joseph Xavier Bidauld en collaboration avec Carle Vernet et avec Louis Léopold Boilly. Spécialiste de ce dernier, Paul Marmottan rassemble une trentaine de portraits signés de l’artiste, qu’il expose dans la maison principale.
Vers 1910, Paul Marmottan achète des terrains mitoyens pour agrandir sa demeure. Il réaménage alors une partie de l’hôtel particulier qui abritait la collection de son père pour y présenter également la sienne. Il repense plusieurs pièces parmi lesquelles la chambre à coucher au premier étage, l’actuelle salle à manger et les deux salons ronds du rez-de-chaussée. Auteur d’un ouvrage de référence, Le Style Empire, Paul Marmottan conçoit leur décor. La rotonde par laquelle le visiteur accède aujourd’hui au musée, faisant déjà office de vestibule, est ornée de niches et de sculptures en marbre conformément aux critères en vigueur sous l’Empire. Pour meubler ces salles spacieuses, Paul Marmottan procède à des acquisitions majeures, au premier rang desquelles le lit de Napoléon Ier, le Lustre aux musiciennes, le bureau estampillé Pierre Antoine Bellangé, le monumental Portrait de la duchesse de Feltre et de ses enfants ou encore l’exceptionnelle « Pendule géographique » en porcelaine de Sèvres.
Paul Marmottan considère ce fastueux hôtel particulier, ses salons Empire et sa galerie de peinture ancienne comme l’une de ses réalisations majeures. Au même titre que Nélie Jacquemart-André avant lui et bientôt Moïse de Camondo, il lègue sa demeure à une institution culturelle afin de la préserver et de l’ouvrir au public. L’amateur confie ces tâches à l’Académie des beaux-arts qui hérite du bâtiment et de ses collections à son décès, le 15 mars 1932.
Fondée en 1648, l’Académie royale de peinture et de sculpture s’était vue confier le rôle de défenseur de l’art français. Sa descendante à partir de 1803, l’Académie des beaux-arts, a poursuivi cette mission. Chargée de l’enseignement et des Salons, elle veillait au maintien de la tradition artistique.
Le legs Paul Marmottan élargit ses missions en en faisant la gardienne d’une partie du patrimoine français.
Devenu l’une des fondations de l’Académie des beaux-arts, le musée Marmottan ouvre ses portes le 21 juin 1934. Dans le respect des vœux du fondateur, les pièces exiguës ou dédiées au service disparaissent pour créer des volumes plus vastes et faciliter le flux du public. Au-delà de l’adaptation des espaces, le musée connaît d’autres évolutions. Bientôt l’aura de l’Académie des beaux-arts suscite de nouveaux dons et legs. Le musée enrichit ses collections et aborde un nouveau chapitre de son histoire.
Dès 1938, l’art de la seconde moitié du XIX siècle fait son entrée au musée Marmottan. Les dessins offerts par la fille du peintre académique William Adolphe Bouguereau, ainsi que les études léguées par le frère du peintre naturaliste Jules Bastien-Lepage s’inscrivent encore dans la tradition qu’incarne l’Académie des beaux-arts et que défendait Marmottan. Les dons de Victorine et Eugène Donop de Monchy vont profondément modifier la situation. Avec son époux, Victorine est l’une des premières à découvrir le musée Marmottan. Restée sans enfant, elle choisit de destiner au nouvel établissement une partie de l’importante collection qu’elle a héritée de son père, le docteur Georges de Bellio. Entre 1940 et 1947, elle procède à plusieurs dons : objets d’art asiatique, peintures, dessins, anciens et modernes illustrent les goûts éclectiques et l’ouverture d’esprit du docteur. Si Le Buveur de Frans Hals et Le Fumeur de pipe de Dirck van Baburen trouvent naturellement leur place dans l’ancienne demeure de Paul Marmottan, l’entrée d’Impression, soleil levant et de dix autres toiles impressionnistes marque un tournant majeur. À l’époque où le docteur de Bellio se distinguait comme l’un des premiers soutiens de Claude Monet et de ses amis, Paul Marmottan et l’Académie des beaux-arts les combattaient. De son côté, l’Académie avait, après 1870, fermé les portes du Salon à ces jeunes peintres, de telle sorte qu’ils avaient décidé d’organiser leurs propres expositions. C’est lors de la première de ces manifestations, en 1874, qu’Impression, soleil levant inspire au critique Louis Leroy le terme d’impressionniste. En accueillant, en 1940, ces onze toiles, l’Académie reconnaît enfin la valeur de l’impressionnisme. Plus encore, elle devient la propriétaire et la gardienne de l’œuvre qui lui a donné son nom. Leur entrée marque ainsi l’origine des collections impressionnistes du musée Marmottan.
Grâce à Michel Monet, le fonds impressionniste va bientôt se révéler l’une des principales richesses de l’établissement. Fils cadet de Claude Monet, il devient à la mort de son frère, Jean, en 1914, l’unique descendant direct de l’artiste. La maison de Giverny et toutes les œuvres qu’elle contient lui reviennent au décès du peintre en 1926. Outre les peintures et les dessins d’Eugène Delacroix, Eugène Boudin, Johan Barthold Jongkind, Gustave Caillebotte, Renoir, Morisot…, Michel hérite surtout des dernières œuvres de son père. La majorité d’entre elles appartiennent à un ensemble de toiles monumentales ayant pour thème les nymphéas. Entre 1914 et 1926, Claude Monet exécute cent vingt-cinq grands panneaux dont il offre une sélection à la France. Le peintre refusant de dévoiler ces œuvres de son vivant, elles ne sont révélées au public qu’en 1927 (et connues aujourd’hui sous le nom des Nymphéas de l’Orangerie). Leur exposition fait scandale. L’œuvre ultime de Monet entre alors au purgatoire de l’histoire de l’art et Michel, qui possède la plus grande part du reste de ce vaste ensemble, se retrouve à la tête d’un héritage déprécié. Ses efforts pour réhabiliter les grands Nymphéas sont de peu d’effet. Sans enfant, Michel institue alors le musée Marmottan son légataire universel et renonce à léguer sa collection à l’État. À sa mort en 1966, plus de cent Monet, dont un ensemble sans équivalent de grands Nymphéas, viennent rejoindre les propriétés de l’institution. Les salons de Paul Marmottan étant trop exigus pour présenter des œuvres d’une telle envergure, une salle est spécialement conçue sous le jardin de l’hôtel particulier. En 1970, ces toiles, pour la plupart inédites, sont montrées pour la première fois. Elles constituent le premier fonds mondial d’œuvres de Claude Monet. Dans les années 1990, l’établissement enrichit son nom et se mue en musée Marmottan Monet.
Plusieurs autres descendants d’artistes suivront l’exemple de Michel Monet. En 1985, Nelly Sergeant-Duhem, la fille adoptive du peintre postimpressionniste Henri Duhem, fait entrer au musée de très nombreuses œuvres, dont En promenade près d’Argenteuil de Monet et Bouquet de fleurs de Paul Gauguin.
De même, en 1993, la famille Rouart lègue au musée le premier fonds mondial d’œuvres de son aïeule Berthe Morisot – soit vingt-cinq tableaux et un ensemble unique d’œuvres graphiques –, ainsi que des dessins et des peintures signés Manet, Edgar Degas, Jean-Baptiste Camille Corot… Les liens du petit-fils de l’artiste, l’historien de l’art Denis Rouart, et de Daniel Wildenstein, membre de l’Académie des beaux-arts, tous deux coauteurs du catalogue raisonné d’Édouard Manet, ont sans doute favorisé le legs.
Nombreux sont les autres bienfaiteurs qui ont contribué à enrichir le musée depuis sa création. En 1981, Daniel Wildenstein offre la collection d’enluminures que son père, Georges, avait commencé à réunir dès l’âge de seize ans. Cet ensemble compte quantité de chefs-d’œuvre, dont plusieurs pages attribuées à Jean Fouquet, Jean Bourdichon, Jean Perréal ou Giulio Clovio. Trois cent vingt-deux miniatures des écoles française, italienne, flamande et anglaise datant du Moyen Âge et de la Renaissance constituent l’une des premières collections d’enluminures de France. Hôtel Empire et haut lieu de l’impressionnisme, le musée devient une étape incontournable pour l’étude des manuscrits anciens.